À la rencontre de… Pierre Mathiot

Directeur de Sciences Po Lille, chargé de la mission de réforme du baccalauréat et du Lycée par Jean-Michel Blanquer en 2017, et chargé de la mission sur l’égalité des chances par Najat Vallaud-Belkacem en 2016

Comment percevez-vous la relation entre les jeunes et la politique à l’heure actuelle ?

Si on prend des critères objectifs du type participation électorale par exemple, en considérant que le fait de voter est un critère d’intérêt à la politique, alors oui les plus jeunes ont tendance à moins voter que par le passé et à moins voter que les catégories d’âge plus âgées.

Si on regarde l’engagement de cette même tranche d’âge dans les partis politiques et les syndicats, nous faisons le même constat : on a un énorme déficit d’engagement de cette catégorie d’âge. On a donc un double-problème de participation et d’engagement.

Ce qu’on constate néanmoins par ailleurs, c’est qu’il y a des formes d’intérêt pour la chose publique qui se traduisent différemment. On constate que des jeunes s’engagent d’une autre manière. Dans la période récente, la lutte contre le réchauffement climatique par exemple. Mais malgré les apparences, les jeunes qui s’engagent là-dedans sont très peu nombreux et sont des jeunes très particuliers : très insérés dans la société, appartiennent à des milieux sociaux favorisés et sont étudiants. Mais si on regarde les jeunes plus modestes, issus des quartiers les plus discriminés, on a un vrai problème de mise de coté par rapport à l’engagement politique

Comment répondre à cette crise classique de la participation et de l’engagement ?

Quand on vote, ou quand on s’engage en politique, c’est parce que l’on pense que ce qu’on fait a du sens. On le fait parce qu’on croit en ce qu’on va faire, parce qu’on a une conviction démocratique, parce que l’on pense que la personne pour laquelle on va voter ou que le parti pour lequel on va s’engager va faire des choses qui correspondent à nos convictions, à nos valeurs. Je pense que si les jeunes s’engagent moins qu’avant, votent moins qu’avant c’est globalement parce qu’ils croient moins en la capacité des partis et leaders politiques à répondre aux problèmes qui se posent, notamment ceux qui les concernent.

Je pense aussi que pour la jeunesse, la politique est confisquée par les vieux. C’est en partie faux, nous avons aujourd’hui une Assemblée Nationale extrêmement jeune du fait du turn-over très important de 2017. Il y a énormément de députés, beaucoup plus qu’avant, qui ont moins de 30 ans par exemple. On n’a jamais eu une Assemblée aussi jeune en moyenne d’âge, mais on n’a également jamais eu autant de jeunes qui considèrent que la politique est éloignée d’eux.

Comment répondre à ça ? En ré-enchantant la politique. La condition pour que les jeunes, et plus globalement les citoyens, se ré-intéressent à la politique est qu’ils considèrent qu’elle va leur permettre de peser sur la manière dont la société fonctionne. Depuis une trentaine d’années, de plus en plus de personnes considèrent que les acteurs politiques n’ont plus de prises sur la complexité du monde et sur les solutions à apporter.

Vous êtes directeur de Sciences Po Lille. Concrètement, qu’est-ce que cette école et quels en sont les débouchés ?

Il ne faut pas se tromper. Sciences Po est considérée comme une école du pouvoir parce que, historiquement, c’est une école qui a eu tendance à former des hommes et des femmes politiques. On a des anciens étudiants qui sont ministres, députés, sénateurs, maires… On est une école qui forme à ça, certes, mais il ne faut pas nous réduire à ça.

L’immense majorité de nos diplômes ne sont pas des acteurs politiques, des élus. C’est une école qui forme a la politique, mais ce n’est qu’une partie de notre travail. Sciences Po c’est plus globalement une école qui forme à travailler dans des secteurs extrêmement différents, mais dont le point commun est un intérêt pour le fonctionnement de la société. On forme des journalistes, des gens qui vont s’occuper des questions humanitaires, culturelles, administratives, de communications. Il ne faut pas nous réduire à une école du pouvoir. Nous formons nos étudiants à des secteurs très variés. J’ai par exemple fais Sciences Po Paris, et je suis universitaire.

Pourquoi avoir choisi d’être universitaire, et non pas politicien ?

Quand j’étais étudiant à Sciences Po Paris il y avait des gens de ma classe qui souhaitaient faire l’ENA ou faire de la politique à proprement parler. D’ailleurs un certain nombre d’entre eux ont été ou sont ministres, hauts fonctionnaires. Moi je faisais Sciences Po parce que j’adorais les cours qu’on y proposait et je souhaitais être enseignant. J’ai beaucoup aimé la discipline de sciences politiques. Ce qui m’a toujours intéressé c’est de réfléchir sur la société et d’enseigner, d’essayer d’être un passeur, aider les étudiants à se forger une culture critique par rapport au Monde et à son fonctionnement.

Cependant je suis également engagé, je ne suis pas qu’universitaire.

Effectivement, vous avez été chargé de mission a plusieurs reprises, notamment par Najat Vallaud-Belkacem en 2016 ou par Jean-Michel Blanquer en 2017.

Je considère que ce qui est important, c’est d’essayer de contribuer au fonctionnement de la société. J’ai également toujours été engagé politiquement et associativement. J’ai créé un programme de démocratisation quand je suis arrivé à Sciences Po Lille, au profit de collégiens et de lycéens. J’ai toujours essayé de rendre l’accès aux grandes écoles plus divers socialement.

Au fur et à mesure du temps on m’a proposé des missions au niveau national, autour de questions d’éducation. Najat Vallaud-Belkacem m’avait proposé une mission sur l’égalité des chances en 2016, que j’avais acceptée. Le ministre Blanquer m’a proposé une mission de réforme sur le baccalauréat et le lycée en 2017 que j’ai également acceptée.  Vous passez de la direction d’une école de 2000 élèves à un projet  qui concernent des dizaines de milliers de jeunes, des milliards d’euros de budget. C’est intéressant de changer d’échelle, de passer du local au national. Depuis j’ai également fait d’autres missions, une récente sur l’éducation prioritaire dont le rapport est paru la semaine dernière.  Je souhaite toujours être en contact direct avec les jeunes, pour ne pas se déconnecter et rester en contact des réalités.

Êtes-vous adhérent d’un parti politique ?

Non, je l’ai été dans le passé mais je ne le suis plus. On peut travailler pour un gouvernement, sans pour autant être adhérent du parti du gouvernement. J’ai travaillé pour ce gouvernement, pour le gouvernement précédent, et celui encore précédent. Je reste quelqu’un de critique et de libre. La grande chance des universitaires en France est que la liberté de parole est garantie par la Constitution. Je ne m’en prive pas.

La condition qui va faire de je vais accepter de travailler pour un gouvernement, c’est la liberté.

Quelle serait la réponse a apporté aux jeunes qui considèrent que l’engagement est inutile, et quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui, au contraire, souhaitent s’engager et faire entendre leurs voix ?

J’ai des étudiants, et j’ai des enfants. Donc j’ai ce genre de discussions sur le sens de l’engagement et le sens du vote. J’ai à faire face à des discours du genre « ça ne sert plus à rien de voter, de s’engager », ou encore « les hommes politiques ne pensent qu’à eux ».

Je réponds qu’en partie ce discours est un discours qui a une part de vérité, une part de sens. Il faut que la démocratie se rénove, se réorganise, se repense : c’est évident. Comme disais Churchill, la démocratie est le plus mauvais des régimes à l’exception de tous les autres. Je considère qu’une société, pour être démocratique, doit être dirigée par des personnes qui ont été désignée par des personnes qui ont désignées par leurs pairs. On est trop d’habitants en France pour fonctionner par la démocratie directe. Il faut avoir des représentants, les faire évoluer, avoir plus de parité, plus de transparence.

Il reste deux grandes questions à trancher : la question du cumul des mandats dans le temps, il faudrait envisager de plafonner dans le temps les mandats, et la question de la représentativité de nos élus. Comment faire pour que nos élus soient plus représentatif de la diversité de la population ? Cette question est aussi vieille que la démocratie. Il faudrait peut) être expérimenter le tirage au sort d’une partie des députés par exemple. C’est très utopique, mais aujourd’hui en France les jurés d’assises sont des citoyens tirés au sort. Pourquoi considérer qu’une personne qui décide de mettre en prison quelqu’un ne pourrait pas participer au vote d’une loi ?

Propos recueillis par Léna Van Nieuwenhuyse.