À la rencontre de… Morgane Oddo-Bonnet

Fondatrice de la chaîne YouTube Morgane OBN

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Morgane Oddo-Bonnet, alias Morgane OBN sur YouTube et Instagram. Je suisétudiante en droit à Paris 1, ainsi qu’à l’ESCP, que j’ai intégrée l’année dernière à l’issu de deux ans de classe préparatoire.

Ces dernières années, je me suis énormément investie dans mes études, ce qui m’a permis d’accumuler de nombreuses connaissances en économie politique, en droit et en philosophie. Seulement, en mai dernier, j’ai vraiment commencé à ressentir le besoin de mettre à profit tout ce que j’avais appris durant mes études pour tenter de me rendre utile.

C’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée de créer une chaîne YouTube complètement apartisane, qui aurait pour but d’aider les gens à faire un choix qui leur corresponde vraiment lors des différentes élections, notamment en 2022. Mais aussi et surtout, qui permettrait à la fois de promouvoir la nuance tout en luttant contre l’abstention, dans un contexte où nombreux sont ceux qui s’extrémisent, où la société se polarise et où les Français votent de moins en moins.

Ainsi, depuis quelques mois déjà, je poste régulièrement des vidéos sur YouTube et des compléments sur Instagram pour tenter de rendre notre société plus démocratique, en parallèle de mes études.

 

 

Pourquoi avoir lancé ta chaîne YouTube ? Quels sont ses objectifs ?

Cela faisait déjà un moment que je m’intéressais aux sciences politiques. Néanmoins, pour ce qui était de la politique pure et dure, je dois avouer que j’ai toujours ressenti un certain malaise lorsque je suivais les débats entre les candidats à une élection à la télé, ou quand je discutais politique avec des amis, ou enfin lorsque je m’informais sur les différentes offres politiques sur internet.

L’origine de ce malaise, je l’ai désormais comprise : le décalage entre une forte aspiration personnelle à la rationalité et à la nuance, et le déchainement des passions souvent doublé d’un certain manque d’objectivité qui sont monnaie courante en politique.

Si j’ai lancé ma chaîne YouTube, c’est justement car je souhaitais contribuer, à mon échelle, à rendre notre manière d’aborder la politique moins passionnelle. Ou si vous voulez c’est parce que je souhaitais, à travers mes vidéos, m’appuyer sur les conclusions académiques des chercheurs en sciences politiques pour bâtir, à partir de là, une manière d’aborder la politique plus rationnelle et réfléchie. C’est pour cette raison que ma chaîne se situe à cheval entre vulgarisation en sciences politiques stricto sensu et incitation concrète à l’action politique.

D’ailleurs, cette double aspiration se retrouve parfaitement dans les deux objectifs centraux que je me suis fixés en créant ma chaîne. Le premier est de présenter et déconstruire les différents biais auxquels chacun peut être confronté en politique, comme le biais de confirmation par exemple. Et pour atteindre cet objectif, je m’appuie la plupart du temps sur des articles universitaires écrits par des chercheurs en sciences politiques. Le second est de réussir à élaborer et à présenter des outils et des conseils concrets qui permettent de faire un choix lors d’une élection.

De surcroît, cette indécision voulue entre science politique et incitation concrète à l’action sur ma chaîne est en fait étroitement liée à un autre constat qui m’a poussée à me lancer sur YouTube. J’ai en effet remarqué que, sur la plateforme, les chaînes de vulgarisation ou d’actualité restaient la plupart du temps cantonnées à une dimension strictement factuelle, laissant complètement de côté l’aspect motivationnel, l’incitation à agir. Et, selon moi, ce phénomène a deux principaux effets pervers.

D’une part, le fait d’être en permanence assaillis par une avalanche d’informations peut se révéler très anxiogène pour chacun de nous, et cette anxiété peut à son tour nous enfermer dans une forme de passivité à l’égard du monde qui nous entoure, et donc nous éloigner de l’action politique. D’autre part, cette tendance contribue également à laisser le « monopole de la motivation » sur YouTube aux soi-disant coachs en développement personnel, séduction ou entrepreneuriat, qui essayent de capitaliser sur le sentiment d’isolement et de perte de sens de certaines personnes en leur vendant à des prix faramineux des formations qui s’avèrent souvent être de véritables arnaques.

Un des objectifs de ma chaîne est donc également de montrer que l’on peut tout à fait créer du contenu motivant tout en conservant recul et objectivité, et tout en mobilisant et en vulgarisant des connaissances scientifiques et académiques.

 

 

Quels facteurs expliquent selon toi le désintérêt et l’abstention d’une partie de la jeunesse ?

Tout d’abord, lorsque l’on me pose la question des facteurs explicatifs de l’abstention chez les jeunes, je tiens toujours à rappeler en premier lieu que jamais une génération n’a été aussi engagée que la nôtre : les mouvements associatifs n’ont jamais été aussi nombreux, et les jeunes n’hésitent pas à se mobiliser massivement pour soutenir des causes qui leur tiennent à cœur, comme la lutte contre le réchauffement climatique. Ainsi, il serait faux d’affirmer que notre génération est moins engagée que les générations précédentes : notre génération est seulement engagée différemment.

Il n’empêche, l’abstention n’a jamais été aussi élevée en France, notamment chez les jeunes. Et ce désintérêt croissant pour les urnes ou plus globalement pour la politique sous sa forme la plus traditionnelle est en fait selon moi le résultat de la combinaison d’un grand nombre de facteurs protéiformes.

Tout d’abord, nombreux sont les jeunes qui ont perdu toute confiance envers la classe politique, et qui ne votent donc plus. Cela s’explique principalement par le fait que nous sommes devenus citoyens dans une période de défiance politique, dans laquelle les partis et responsables politiques sont régulièrement pointés du doigts pour leur incapacité à résoudre les problèmes. Certains jeunes ne croient donc plus au vote, considèrent que leur vote n’aura aucune influence.

Cette forte abstention chez les jeunes est également parfois liée au manque d’informations et à une absence de socialisation politique. En effet, nombreux sont ceux qui rencontrent des difficultés pour s’inscrire sur les listes électorales par exemple, ou encore qui ne parlent jamais ou très peu de politique avec leurs familles ou leurs amis.

Enfin, tous ces facteurs explicatifs ne doivent pas nous faire oublier la forte précarité à laquelle la jeunesse est actuellement confrontée, très importante à prendre en compte lorsque l’on cherche à expliquer le désintérêt d’une partie de la jeunesse. En effet, quand on sait par exemple que plus d’un étudiant sur deux déclarait ne pas manger à sa faim l’année dernière, il est aisé de comprendre que certains d’entre eux n’aient pas vraiment le temps ni la motivation de s’intéresser à la politique.

 

 

Par quels moyens pouvons-nous lutter contre cette abstention ?

De même qu’il existe une multitude de facteurs qui expliquent cette abstention, il existe également de nombreuses façons de la combattre.

Or, certaines d’entre-elles nécessitent presque nécessairement, pour être efficaces, une action des pouvoir publics. Je pense par exemple ici à la lutte contre la précarité de la jeunesse ou encore à la mise en place de politiques éducatives de sensibilisation à la chose politique et à l’importance du vote.

Néanmoins, il existe également selon moi de nombreux moyens de lutter contre l’abstention à une échelle plus personnelle, ou du moins plus locale. En effet, chacun peut jouer un rôle dans ce combat contre l’abstention, même sans être élu, ou responsable d’une grosse association. C’est donc toujours dans une logique d’incitation à l’action, mais également dans un souci de synthèse, que je vais me concentrer sur la présentation de deux manières concrètes et efficaces selon moi pour lutter à son échelle contre l’abstention.

1- Parler de sujets en rapport avec la politique et de l’importance de voter autour de vous, et partager du contenu en rapport avec la politique sur les réseaux sociaux.

Comme je l’ai dit plus haut, c’est parfois le manque de socialisation politique qui est à l’origine de l’abstention de certains jeunes. Or, rien que le fait de discuter politique ou de partager un contenu en rapport avec la politique sur les réseaux sociaux peut permettre d’enclencher ce mécanisme de socialisation.

2- Rejoindre une association engagée dans la lutte contre l’abstention ou plus largement dans une optique de réconciliation des jeunes avec la chose politique.

Un autre moyen par lequel vous pouvez contribuer à la lutte contre l’abstention est de rejoindre une association engagée dans cette voie. Ces associations, par le fait même qu’elles rassemblent leurs membres autour de préoccupations liées à la politique, jouent déjà un rôle de socialisation fort. De plus, certaines d’entre elles peuvent mener des actions extrêmement concrètes pour lutter contre l’abstention : par exemple, l’association Les Engagés œuvre actuellement pour tenter de faciliter l’inscription sur les listes électorales de certains jeunes à l’approche des présidentielles. L’intérêt avec cette deuxième manière accessible de lutter contre l’abstention est que celle-ci, au-delà de servir l’intérêt général, permet également de grandir sur le plan personnel et d’apporter une véritable expérience qui pourra être valorisée sur le plan professionnel.

 

 

Pouvons-nous espérer un réveil citoyen de la jeune génération ? Ce réveil passera-t-il par les nouveaux canaux de communication ? 

Assurément. D’ailleurs, selon moi, ce réveil citoyen de la jeunesse a déjà largement commencé : comme je le disais plus haut, notre génération est indubitablement une génération très engagée. Néanmoins, le fait que celle-ci peine à exprimer cet engagement par l’intermédiaire et au sein des institutions politiques traditionnelles, dont le vote fait partie, constitue selon moi un immense frein à cet éveil citoyen.

Et justement, je pense que ce sont les nouveaux canaux de communications, notamment les réseaux sociaux, qui vont permettre la rencontre progressive entre l’engagement de la jeunesse et les institutions politiques traditionnelles. 

En effet, je vois d’ores et déjà émerger de nombreux créateurs, associations et médias -dont Pass’ Politique fait d’ailleurs partie- qui contribuent chaque jour à informer les jeunes sur nos institutions politiques sur les réseaux sociaux. Et permettre à notre génération de comprendre nos institutions c’est aussi lui donner les premières clés pour les influencer.

D’un autre côté, les institutions politiques traditionnelles prennent de plus en plus en compte l’importance de ces nouveaux moyens de communication, et s’ouvrent donc de manière croissante à ceux qui en connaissent le mieux les codes, c’est-à-dire les jeunes. Par exemple, les élus, qui influencent nos institutions au quotidien, cherchent désormais toujours davantage à s’entourer de membres de la jeune génération. Jamais l’on n’avait vu autant de jeunes en tête de liste que durant les élections municipales de 2020.

En somme, le réveil citoyen de la jeune génération a, selon moi, déjà débuté. Mais gardons-nous de croire qu’il faille en rester là : il est essentiel, pour chacun d’entre nous, de sortir de la passivité, notamment sur les réseaux sociaux, pour que cet éveil citoyen continue de s’intensifier.

Propos recueillis par Loup Laurent.

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