À la rencontre de… Charles Hufnagel

Ancien conseiller en communication du Premier ministre Édouard Philippe

Pourquoi êtes-vous devenu conseiller communication d’Alain Juppé puis du Premier ministre Edouard Philippe ?

J’ai toujours été passionné par la politique. Le hasard m’a fait débuter ma carrière dans des directions de la communication de grandes entreprises publiques, EDF puis AREVA, où j’ai appris à aimer le travail en équipe, le monde économique et les relations presse. C’est chez Areva que j’ai eu la chance de travailler avec Édouard Philippe. Par son intermédiaire j’ai rencontré Alain Juppé et Gilles Boyer, qui m’ont proposé de les rejoindre fin 2010 au cabinet du ministre de la Défense puis des Affaires étrangères, jusqu’à l’alternance de 2012. Pour moi qui avais toujours rêvé de faire de la communication en cabinet, c’était l’assurance de vivre une aventure unique aux côtés d’un homme d’État. Je n’ai pas été déçu par la dose d’adrénaline et de valeurs.

Par la suite, j’ai continué d’alterner les expériences en entreprise et celles en politique. J’ai suivi fidèlement Alain Juppé lors de la campagne pour les Primaires de la droite et du centre en 2016, puis accompagné Édouard Philippe de son premier à son dernier jour à Matignon. Au final, pour moi c’est autant une histoire d’amitié que l’opportunité de vivre une aventure exceptionnelle, au service du pays.

Qu’est-ce qui fait selon vous une bonne communication en temps de crise ?

Mieux vaut ne pas avoir de grandes théories sur ce genre de sujets. Je dirais qu’une communication de crise réussie, c’est simplement celle qui maintient la confiance avec les parties prenantes dans un moment d’urgence, où l’essentiel est en jeu : avec les Français quand on est en politique, avec les clients, les salariés, les actionnaires et les ONG, quand on est en entreprise. L’objectif est simple, la manière d’y parvenir bien plus compliquée…

La communication de crise doit être avant tout un exercice de vérité et de sincérité. Si on réussit à rendre compte des événements de la façon la plus transparente possible et à expliquer le sens des décisions prises, alors on ne s’est pas levé le matin pour rien (si on a dormi).

Les décideurs n’ont souvent pas toutes les informations nécessaires à leur disposition, quand celles-ci ne se contredisent pas très vite au gré de l’évolution des circonstances et des expertises. On l’a vu lors de la crise du COVID-19. Face à cette problématique, les conseillers en communication font un travail d’artisan en essayant de revenir sur les fondamentaux : effectuer les réglages d’éléments de langage pour expliquer les faits avec la plus grande rigueur, organiser la parole des différentes autorités pour éviter la cacophonie à un moment où tout le monde parle, surtout ceux qui ne gèrent pas la crise… L’objectif n’est pas de tout contrôler mais d’essayer de garder un maximum de crédibilité et d’être aussi peu souvent que possible démenti par les faits ultérieurs.

Comment pourriez-vous décrire ce que d’anciens Premiers ministres ont nommé “l’enfer de Matignon” ? 

Je vais rester à ma place et je vais donc répondre pour mon humble cas particulier, même si Édouard Philippe a souvent démenti l’idée que Matignon était un enfer. 

Servir Édouard Philippe à Matignon, ce fut un honneur. Et un bonheur. Tout simplement. Le cabinet du Premier ministre comme les administrations qui lui sont rattachées sont occupés par des agents de l’État incroyablement engagés et qui ont le sens de l’intérêt général chevillé au corps. Être un rouage de cette machine qui tourne à fond, sans arrêt, sous l’autorité d’un très grand directeur de cabinet, ça a été exaltant. Encore une fois, il faut savoir rester à sa place. Le conseiller ne prend pas de décision, il ne donne que des conseils ! Il répond aux journalistes, valide des textes, écrit des argumentaires, en fonction de la ligne fixée par l’autorité ministérielle qui est la seule à porter la responsabilité politique. Bien sûr, Matignon demande beaucoup de temps et d’énergie. Mais c’est une école où l’on apprend tous les jours et où la communication est au cœur des décisions. Pour un communicant, que rêver de mieux ?

Votre expérience dans le privé vous a-t-elle servie dans vos expériences ministérielles ?

J’ai beaucoup appris dans le public comme dans le privé : EDF, AREVA, Saint-Gobain, Carrefour aujourd’hui, sont des entreprises où la communication corporate est stratégique et  très organisée, avec des plans de communication et des règles strictes auxquelles on ne déroge pas, notamment pour des questions de communication financière.

Le « dircom » est le garant de la cohérence de toutes les communications, tant vis-à-vis des salariés que des journalistes et des clients. Son rôle est surtout managérial dans l’animation d’une équipe aux expertises et aux missions multiples. Il n’y a pas meilleure école que l’entreprise pour apprendre à organiser, hiérarchiser et animer.

Ces expériences m’ont particulièrement servi lors de mes passages en cabinet ministériel où j’ai pu reproduire ces méthodes de travail. Si les enjeux de la communication politique sont différents de ceux de la communication d’entreprise, les méthodes restent assez similaires et une priorité demeure : comprendre les enjeux de fond, définir en conséquence les bons messages, avant de se poser la question des outils.

Que pensez-vous de l’influence des réseaux sociaux sur l’activité des personnalités politiques ?

D’évidence les réseaux sociaux ont fait évoluer le rapport des acteurs politiques à la communication. Les médias ont perdu une sorte de monopole. Les politiques peuvent s’adresser directement à leurs propres communautés. Mais ils peuvent aussi perdre le contact avec d’autres qui s’autonomisent et vivent loin des structures politiques traditionnelles… C’est un chamboule-tout, et on n’est qu’au début d’une révolution.

La différence entre la campagne présidentielle de 2012 et celle de 2017 était déjà majeure. Celle de 2012 était marquée par l’émergence des chaînes d’info en continu, alors que les réseaux sociaux ont eu un poids considérable en 2017. Il est d’ailleurs certain que la campagne de 2022 ne ressemblera aucunement aux précédentes sur le plan de la communication numérique, surtout si la situation sanitaire oblige à repenser le fonctionnement des meetings.

Par ailleurs, s’ils créent un indéniable vent de liberté, les réseaux sociaux accentuent aussi la culture de l’immédiateté, du buzz, une prime de part de voix pour ceux qui clivent, et une forme d’enfermement de certaines communautés politiques et sociales. Il faut prendre en compte sur ces plateformes le poids important des fake news, des théories complotistes, de la manipulation de l’information. Tous ces éléments peuvent créer des interférences assez importantes, en comparaison de la communication verticale d’antan, où l’on connaissait bien ses relais partisans et ses leaders d’opinion médiatiques.

A cet égard, il est passionnant d’étudier la révolution menée par Donald Trump, lui qui a organisé son opposition systématique aux médias traditionnels “mainstream” pour créer sur Twitter un canal sans filtre avec ses partisans dans une ère de post-vérité. N’ayons pas de doute que d’autres vont s’en inspirer.

Donc révolution, oui évidemment. Mais la communication est toujours affaire de message. Un bon tweet vaut aussi bien qu’un bon message sur un média plus classique, que les réseaux sociaux reprendront à leur tour. Si les codes changent, le contenu restera toujours plus important que le contenant. Et certains codes institutionnels demeurent, même sur les réseaux sociaux : un ministre doit toujours s’exprimer selon des codes attendus par les Français, il en va de la crédibilité de sa parole et de son image. Les Français ont un cadre institutionnel bien en tête, il est dangereux de l’oublier.

D’après vous, la technocratisation du langage peut-elle aggraver la défiance démocratique ? 

Le risque de technocratisation du langage existe face à la complexification des enjeux. Il pose des problèmes de compréhension entre les élus et les citoyens, et ce risque existe d’ailleurs en entreprise entre le management et les salariés. Or la clarté du message est l’une des conditions de la confiance, sans tomber dans la simplification à outrance, qui est l’arme des populistes et des démagogues.

Une nouvelle fois, je crois que la communication politique est souvent un exercice de vérité et de sincérité. Un exercice de « pédagogie » comme l’a pratiqué Édouard Philippe tout au long de la première vague du COVID-19. La situation était complexe, les mots pouvaient l’être aussi, mais en disant ce qu’il savait et ce qu’il ne savait pas, le Premier ministre a montré aux Français qu’il ne leur cachait rien de la complexité de la situation. Il a ainsi trouvé les mots de la confiance.

Propos recueillis par Loup Laurent et Valentin Guillet.

Curieux de découvrir d’autres portraits d’engagés ?

Rendez-vous sur la section #ÀLaRencontreDe !